Sur la fausse notion d’antisémitisme

PAJU

On 24/08/2019
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Depuis plus de vingt ans, nous organisons des vigiles hebdomadaires en solidarité avec la Palestine et rencontrons les gens où ils sont pour leur en parler. Les vigiles se tiennent devant des écoles et universités, stations de métro, boutiques et durant des fêtes de rue et de quartier… Jusqu’à présent, plus de 500 000 dépliants ont été distribués aux passants!

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Ma présentation se divise en trois volets : d’abord un bref aperçu de la dialectique formée par sionisme et antisémitisme, car loin d’être des forces opposées, les deux font le voyage conjointement depuis les débuts du sionisme. L’antisémitisme européen, parfois institutionnalisé, sous-tend la création du sionisme. Le deuxième volet traite des éléments à la source de la manipulation au Canada concernant la notion d’antisémitisme sous l’épithète « nouvel antisémitisme » tel qu’établie par la Coalition parlementaire canadienne contre l’antisémitisme. Le troisième volet traite brièvement de la base conceptuelle sur laquelle se fonde le sionisme ou l’israélisme.

Le 1er décembre 2018
Bruce Katz est co-président de Palestiniens et juifs unis (PAJU)

La dialectique

Les dirigeants sionistes dès le début du XXe siècle ont compris que l’antisémitisme était un prérequis à la réalisation de leur projet colonial. Théodore Herzl était très clair à ce sujet. Dans ses premiers écrits il avait déclaré que les gouvernements affectés par le phénomène de l’antisémitisme seraient « vivement intéressés à nous aider à obtenir la souveraineté que nous souhaitons ». Herzl concluait dans son journal que « les antisémites deviendront nos amis les plus fiables, les pays antisémites nos alliés ». Il ne s’agit pas ici d’une stratégie à court terme mais plutôt à long terme que le mouvement sioniste et l’État d’Israël continuent de déployer à ce jour.

Ainsi on comprend mieux le fait que le gouvernement israélien d’extrême droite côtoie des gouvernements et regroupements européens néofascistes à tel point que le grand rabbin européen, Pinchas Goldschmidt, a appelé le gouvernement israélien à mettre fin à son engagement avec les partis d’extrême droite en Europe. Goldschmidt a averti les responsables israéliens que le rapprochement avec des groupes nationalistes en Europe mettait en danger la communauté juive locale. « Si un parti est sectaire contre de larges couches de la société et ne tolère pas les minorités, si les Juifs ne sont pas une cible pour le moment, ils le seront dans un proche avenir », de dire Goldschmidt. (« Top European rabbi urges Israel to end engagement with far right-parties ». https://www.timesofisrael.com/top-european-rabbi-urges-israel-to-end-engagement-with-far-right-parties/)

Ce même phénomène s’est antérieurement manifesté dans les relations entre les dirigeants sionistes et Arthur Balfour, auteur de la Déclaration Balfour. Le fait que Balfour soit un antisémite connu qui, en 1905, a parrainé un projet de loi (The Aliens Act) visant à empêcher les Juifs d’Europe fuyant les pogroms de s’établir en Grande Bretagne, n’empêchait pas que les dirigeants sionistes se soient efforcés de le côtoyer, ni que Balfour soutienne le projet sioniste à travers la Déclaration Balfour laquelle, espérait-il, détournerait les Juifs de la Grande Bretagne vers la Palestine. Bref, Balfour agissait exactement comme Herzl l’avait prévu : en ami antisémite le plus fiable !

Dans les années soixante, des agents israéliens ont mis la main sur Adolphe Eichmann, ce haut gradé du Troisième Reich qui fut exécuté par l’État d’Israël après procès. C’est ce même Adolphe Eichmann qui en 1937 fut l’invité d’honneur de l’émissaire sioniste Feivel Polkes qui a emmené ce dernier au Mont Carmel pour visiter une colonie juive.

En 1933, « un sioniste travailliste signa l’accord de transfert « Ha’avara » avec les nazis, rompant ainsi le boycott international du régime d’Hitler : l’Allemagne nazie indemniserait les Juifs allemands qui émigrent en Palestine pour leurs biens perdus en exportant des produits allemands aux sionistes du pays brisant ainsi le boycott. Entre 1933 et 1939, 60% de tout le capital investi dans la Palestine juive provenait de l’argent juif allemand par le biais de l’accord de transfert. Ainsi, le nazisme a été une aubaine pour le sionisme tout au long des années 1930 ». (1) Quelle ironie alors que des organisations comme le B’nai Brith et la Ligue anti-diffamation (Anti-Defamation League) associent boycott et antisémitisme ! Que dire de ces marionnettes politiques qui font de même !

La source canadienne

Commençons par ce qui a été traditionnellement accepté comme définition de l’antisémitisme : l’hostilité ou la discrimination à l’égard des Juifs en tant que groupe religieux ou groupe collectif. La tentative d’inclure dans la définition de l’antisémitisme la critique de l’État d’Israël est un phénomène qui fait suite à la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions contre Israël menée par 170 organisations de la société civile palestinienne en 2005, et par la suite par le rapport Goldstone condamnant l’attaque israélienne contre Gaza de décembre 2008 à janvier 2009 et surtout l’attaque meurtrière contre Gaza en 2014.

En effet, plus les appuis à la campagne du BDS contre le système d’apartheid israélien gagnent du terrain et maintenant que la campagne BDS a atteint une masse critique qui la rend, à mon avis, irréversible, plus la campagne visant à confondre les critiques d’Israël à de l’antisémitisme est en contrepartie devenue vigoureuse. Le terme « le nouvel antisémitisme » en est un popularisé par l’ancien député et ministre libéral Irwin Cotler, pour qui la défense des droits de la personne n’inclut pas les droits des Palestiniens.

En effet, la campagne visant à modifier la définition de l’antisémitisme pour y inclure toutes les critiques de la politique israélienne à l’égard de la population palestinienne assiégée, s’appuie notamment sur une initiative canadienne : The Canadian Parliamentary Coalition to Combat Anti-Semitism (Coalition parlementaire canadienne contre l’antisémitisme). Ce comité parlementaire a été mis sur pied en 2009 à l’instigation de Jason Kenney, alors ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme au gouvernement Harper, et d’Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice dans les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et Paul Martin.

On allait se servir du terme de « nouvel antisémitisme » pour inclure dans cette définition toute critique du système de discrimination institutionnalisé par Israël comme étant de l’apartheid. En effet, M. Cotler a qualifié les colonies israéliennes installées en Cisjordanie palestinienne, illégales au regard du droit international, de « territoires disputés » plutôt que territoires occupés, curieux recours au sophisme pour un professeur de droit de l’Université McGill, qui est d’ailleurs le mentor du premier ministre du Canada Justin Trudeau, selon les dires de ce dernier, il y a quelques années.

Dans l’introduction du livre intitulé « Anti-Semitism Real and Imagined : Responses to the Canadian Parliamentary Coalition to Combat Anti-Semitism » ( L’antisémitisme réel et imaginaire : Réponses à la Coalition parlementaire canadienne contre l’antisémitisme), Michael Keefer, rédacteur en chef du livre, propose une analyse succincte des valeurs fondamentales de cette tentative de fusionner les critiques d’Israël à de l’antisémitisme.

« Les tactiques rhétoriques déployées dans cette attaque contre la liberté d’expression sont assez familières. Elles consistent à porter une accusation d’antisémitisme contre toute personne attirant l’attention sur le traitement violent, dégradant et illégal (aux termes du droit international) de l’État d’Israël à l’égard du peuple palestinien dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza, ou qui fait référence au fait que ce traitement est motivé par un projet de colonisation systématique illégal, ainsi que de l’apartheid et du nettoyage ethnique contre une population assujettie. (2)

Je suis en désaccord avec l’idée que le sionisme, ce mouvement ultranationaliste, et le judaïsme ne font qu’un, et qu’en conséquence, critiquer Israël et le projet sioniste, c’est être antisémite. C’est une mécanique destinée à intimider et à faire taire les critiques du régime d’apartheid d’Israël. La liste des intellectuels juifs qui ont critiqué la nature du sionisme est infinie et comprend des penseurs tels Albert Einstein et Martin Buber. Sont-ils antisémites ?

Les Rabbins pour les droits de la personne en Israël sont-ils antisémites parce qu’ils critiquent leur propre gouvernement et défendent les droits des Palestiniens ? Qu’en est-il des autres groupes de défense des droits de la personne israéliens qui font la même chose ? Qu’en est-il des nombreux Juifs actifs dans le mouvement BDS ? Tous antisémites ?

Non, il s’agit simplement d’un sophisme outrancier, entériné ouvertement par la classe politique à quelques exceptions près, et par des médias agenouillés devant l’autel de l’israélisme qui avalent le même mensonge. Faut-il rappeler ce grand journaliste américain, Edward R. Murrow qui, à l’époque du McCarthyisme avisait ses collègues que la peur s’était déjà installée dans la salle de nouvelles. La peur s’est installée dans les salles de nouvelles au Québec et au Canada depuis belle lurette.

Le fond conceptuel

Yoav Litvin le conceptualise en termes concrets :
Le lien entre le sionisme et judaïsme est maintenu par un révisionnisme historique cohérent et par la manipulation

du traumatisme produit par l’antisémitisme européen, qui a abouti à l’Holocauste juif. Il soutient l’appui à Israël et sert à étouffer la résistance effective en attribuant d’« antisémitisme » toute critique des politiques israéliennes. Notamment, cet abus du terme « antisémitisme » a dilué et banalisé le véritable phénomène de sectarisme contre les Juifs et démontre encore davantage la collusion qui a cours entre le sionisme et les suprématistes blancs. (3)

Le sionisme a réussi à associer le judaïsme à la représentation d’État, le sécularisant et l’ethnicisant en le vidant ainsi de sa nature transcendante et de son code moral strict, issu des préceptes de la Torah et du code mosaïque. En d’autres termes, pour créer le nouvel homme hébreu tel que Yakov Rabkin emploie ce terme dans son livre Au nom de la Torah, une histoire de l’opposition juive au sionisme, il fallait d’abord évacuer la nature transcendante des préceptes normatifs judaïques afin de substituer l’État au Dieu des Israélites.

Cependant, l’État ne peut pas être confondu avec le judaïsme, ni avec les Juifs en tant que collectivité, et aucun sophisme ne changera cela. Dans le cas de l’État d’Israël, son culte devrait se dénommer Israélisme (qui est plus facilement compris que le terme, sionisme) et non le judaïsme. Affirmer que l’État d’Israël représente tous les Juifs du monde n’est pas seulement un mensonge, mais un acte dangereux, car si l’État d’Israël est coupable de crimes infligés contre un peuple voisin, et si cet État incarne également le judaïsme mondial et les Juifs collectivement parlant, alors tous les Juifs se retrouvent tenus de partager une culpabilité collective avec ce même État, bien que de nombreux Juifs s’opposent aux actions de cet État.

Cela a pour résultat de revigorer les vieux préjugés et d’attiser le feu du sentiment anti-juif, particulièrement à un moment de l’histoire où nous assistons à la montée de mouvements fascistes qui rappellent les années Vingt et Trente du siècle précédent. L’instrumentalisation de l’antisémitisme finira par banaliser le concept même, car lorsque tout le monde est considéré antisémite, il n’y a plus d’antisémite. Cela n’est guère la manière d’assurer la sécurité des communautés juives dans le monde.

Compte tenu du contexte social et politique de notre époque, il est nécessaire que les éléments progressistes de la société qui défendent les droits de la personne, l’état de droit et la liberté d’expression s’opposent fermement à toutes les formes de racisme, y compris les actes de haine antisémites dirigés contre les Juifs en tant que groupe religieux et collectif, mais aussi que l’on fasse également la distinction nécessaire entre la protection des droits civils et religieux des Juifs et le faux culte à l’israélisme.

Notes
1. Joseph Massad. « Zionism, anti-Semitism and colonialism ». (https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2012/12/201212249122912381.html)
Voir aussi : Edwin Black. « The Transfer Agreement : The Untold Story of the Secret Pact Between the Third Reich & Jewish Palestine ». New York : Macmillan Publishing Company, 1984. 430 pages
Lenni Brenner, rédacteur. « 51 Documents : Zionist Collaboration With the Nazis ». New Jersey, Barricade Books , 2002. 342 pages.
Lenni Brenner. Zionism in the Age of the Dictators : A Reappraisal. (1983) https://www.thestruggle.org/Zi_Age_Dictators.pdf

2. Michael Keefer, rédacteur. « Antisemitism Real and Imagined:Responses to the Canadian Parliamentary Coalition to Combat Antisemitism ». Waterloo, Ontario : published by The Canadian Charger, 2010. www.thecanadiancharger.ca

3. Yoav Litvin. « Ethical Jews Reject Zionism ». https://mondoweiss.net/2018/08/ethical-reject-zionism/

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